30 novembre 2008

Lechem droumi :
Lechem droumi nou’m biengues troubla la cerbele, lechem droumi(1)…Laisse moi dormir, ne viens pas troubler ma tête…Ainsi fredonnait notre ami le berger, soudainement réveillé en pleine nuit par un léger battement d’ailes. Il avait même ressenti comme un frôlement mélodieux. Habitué au chuintement des oiseaux de nuit, au glapissement du renard en maraude, au jappement du chien inquiété par quelque visiteur nocturne, il avait appris à sommeiller sans baisser la garde de sa vigilance. Décidemment, ce soir, il faisait trop froid, il n’avait pas envie de quitter sa paillasse pour si peu.
Un léger tintement a résonné dans le lointain. C’est la cloche de Noël. Tous ces temps ci, tu as entendu, toi aussi, un frôlement, celui des balles de la crise financière, de la perte du pouvoir d’achat, de la récession à venir. Mais, ce soir, tu as envies de faire une pause. Tu as invité la famille et tu vas « faire la fête » pour bien finir l’année ; tu vas en profiter dans le cas où ça ne durerait pas ! « Lechem minya nou’m biengues coupa la chique… » « Laisse moi manger, ne me coupe pas l’appétit…
Ce soir, tu auras peut-être du mal à « attraper » le sommeil. Une histoire de bergers et de pauvres gens te trotte dans la tête. Il y a 2000 ans, ils avaient accueilli un enfant appelé plus tard le Christ. Lui aussi était né en pleine crise. Son pays était sous occupation, ses habitants croulaient sous les impôts divers ; les indigents, les exclus et les malades étaient légion .Un certain Zachée et d’autres comme lui, avaient prévu un bon parachute doré pour leur retraite. On pensait même que ce Jésus allait rendre la santé et nourrir toute la population car il lui arrivait de faire des miracles. Or il est mort sans même avoir crée une banque, sans éditer un manuel d’économie politique, sans fonder une école d’administration. Il nous a simplement demandé de ne pas nous endormir, de ne pas en rester à la dimension horizontale, de prendre le risque de vivre une vie réellement humaine. Pour cela, il nous a laissé le seul trésor qui ne se dévalue jamais : l’Amour exigeant mais tellement tonifiant de Dieu pour notre humanité.
Le berger, lui non plus, n’a pas pu s’endormir. Il a pris sa musette et son bâton. Il est sorti comme l’avaient fait ses collègues avant lui. Un frôlement d’ailes d’anges les a guidés vers le Dieu tout aimant comme un enfant et ensemble ils ont entonné « Lous aulhes lous permés(1)… Les bergers les premiers ont quitté leur enclos...» Allez, debout, quitte la table de tes prétextes éculés, viens toi aussi à la crèche, tu y trouveras bouts de paille et brins de bonheur durable…

(1) Cantique béarnais : orthographe non certifiée.

03 novembre 2008

Habemus Episcopum.
Voilà deux semaines qu’un évêque a été, enfin, nommé pour le diocèse de Bayonne, Lescar et Oloron. Alors qu’en penses tu ?
J’entends les commérages. « Il a une bonne tête…. il est jeune…souriant…il porte soutane… il paraît que cette communauté St Martin dont il se réclame n’est pas fanatique du Concile Vatican II…il amènera des prêtres…je préfère des prêtres en soutane que pas de prêtres du tout… il vient remettre de l’ordre dans un diocèse qui a trop fait parler de lui…on a sablé le champagne dans certains presbytères…des légions de séminaristes seront présents à son ordination, ils sont en train d’amidonner dentelles et barrettes… »
J’écoute les commentaires dits avisés. « Une fois de plus les organismes officiels de l’Eglise de France sont court-circuités par des réseaux parallèles… Va-t-il rouvrir le séminaire et accueillir une catégorie de jeunes bien typés venant de partout et de nulle part…à long terme, c’est la mort programmée du clergé diocésain, inséré dans une culture et en symbiose avec elle…il est le type même du nouveau clergé plus attaché à sa communauté qu’à son Eglise d’origine…ces prêtres là ont un message à porter quels que soient le lieu et le temps qui le recevront… leur apostolat consiste à développer un certain piétisme soluble en toute circonstance et sur tous les continents…. »
Alors, qu’est ce tu en penses ?
- D’abord, je plains sincèrement le nouvel évêque. Il entre dans un diocèse en état de délabrement avancé. Contrairement à ce que disent les discours officiels, le Béarn et le Pays Basque ne se caractérisent pas par une « culture religieuse encore bien vivante ». La culture ou plutôt les cultures sont coupées de la Foi. Ce qui reste est bien souvent un sous bassement religieux commun à toutes les civilisations humaines, quelque peu teinté de Christianisme. La feuille donnée aujourd’hui, 2 novembre, pour être lue dans tous les cimetières, n’aurait comporté que des poèmes choisis et de beaux textes émouvants, cela n’aurait pas dérangé la majorité des personnes présentes cet après midi autour des pierres tombales. Ce constat est certainement sévère. Je prends cependant le risque de le porter jusqu’à preuve du contraire.
- Ensuite, je pense que notre prénommé Marc sera « ordonné » évêque et que cela peut changer un homme. Il sera placé dans une toute autre position que celle d’un vicaire général ou celle d’un responsable de communauté. Il se trouvera confronté à l’alternative suivante : faut-il être un bon gestionnaire du peuple de Dieu ou un témoin de l’Absolu. Les deux ne s’excluant pas forcément. Ou bien, il attend tout du peuple qui lui est confié et il succombe à la dispersion des appels ou à l’inertie de la masse. Ou bien il attend tout de son charisme personnel et ne suscite que feu de paille provisoire et déception durable.
Alors, malgré commérages et commentaires, je lui accorde un à priori favorable. Et puisqu’ « avec nous il est chrétien », j’attends simplement de lui qu’il rappelle et qu’il accomplisse lui-même le commandement unique : « Aime Dieu et ton prochain.. »… y compris les prêtres diocésains. La combinaison des deux préceptes de la première Alliance par le fondateur de la deuxième évite tous les sectarismes et toutes les platitudes.
-. Enfin, je lui souhaite de rencontrer, d’écouter, d’encourager et d’instituer dans des ministères appropriés ces pères et mères chrétiens qui dans notre société et dans notre Eglise tiennent à bout de bras et de ténacité la transmission de la Foi et la permanence de la prière. Ils ne sont pas nombreux, ils sont encore assez jeunes, ils sont les pierres d’angle de l’Eglise de demain.

02 novembre 2008

Sophie : Femme de proue

La vie de Sophie qui vient de s’éteindre suffirait amplement de commentaire à cette page d’évangile (Mt 25,31ss). Je me contenterai de rappeler une évidence : Qui que nous soyons, nous sommes tous des héritiers ! Dans la mesure où nous prenons de l’âge nous réalisons mieux le sens de cette phrase : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et même si tu crois avoir acquis par toi-même beaucoup de choses, qui t’a donné la faculté d’apprendre, la capacité d’innover, la volonté de progresser ? »
Sophie a fait partie de cette génération de femmes qui a connu l’un des plus grands bouleversements de la vie rurale, y compris dans ce que l’on appelle la condition féminine. L’avantage qu’elles avaient sur les hommes et qu’elles ont encore, réside dans cette relation tout à fait spéciale qu’une femme entretient avec la vie. Celle qui couve la vie en elle fait l’expérience de la durée, de la patience, des lentes germinations, des fécondes maturations. Ces femmes là ont traversé l’un des siècles les plus mouvementés, sans jamais casser le fil de la vie dont elles avaient pris le relais et qu’elles passeraient à d’autres. Elles ont transmis un avoir faire et surtout un savoir être. Combien de tâches ingrates et ignorées ont- elles effectuées pour « tenir » une maison afin que chacun s’y sente bien, pour réunir une famille dispersée, raccommoder les uns avec les autres, écouter les chagrins, partager les joies, mettre en valeur les capacités de chacun, redonner confiance à ceux qui avaient échoué…Un savoir être…
Elles ont eu du mal à s’habituer aux ruptures qui paraissent aujourd’hui être la condition de toute entreprise humaine. Malgré leur souffrance, elles ont eu la sagesse de considérer que si certaines cassures étaient inévitables, elles ne remettaient pas tout en cause et provoquaient parfois un sursaut d’humanité.
Où trouvaient-elles la clef cachée du trésor inépuisable de leur vie ? Elles la trouvaient ici dans cette chapelle, dans le face à face avec le Seigneur, dans la rencontre de l’Eucharistie. Et c’est peut-être l’un des paradoxes de notre temps qui ne cesse de mettre en valeur le passé, les recettes d’autrefois, les matériaux anciens, le retour a une vie authentique, qui multiplie les formations pour « inventer » ce que nos grands-mères connaissaient par l’expérience et la tradition, et qui n’a que dédain et suspicion pour cet héritage essentiel de la Foi.
C’est en elle, que Sophie et ses compagnes puisaient la force d’aller de l’avant sans jamais rompre le lien de la vie qu’elles transmettraient non seulement avec les moyens de l’assumer mais surtout avec ces repères qui avaient fait leurs preuves et qui leur donnaient des raisons d’espérer.
Seigneur, notre Dieu nous qui sommes les héritiers de cette génération permet que nous ayons la joie de transmettre l’essentiel de ce qui a fait notre vie et que nous puissions greffer nos jeunes successeurs sur le rameau du Christ. Alors nous serons sûrs d’avoir porté du fruit et un fruit qui demeure…
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.