25 septembre 2010

Les romanichels


Un claquement cadencé de sabots ferrés, le grincement inquiétant d’essieux
mal ajustés, le bruit d’un bric à brac mal arrimé, et déjà tous les écoliers
se suspendent aux grilles de la cour de récréation qui longe l’unique rue du
village. Une haridelle hors d’âge, une roulotte ajourée, des têtes d’enfants
barbouillées, un homme dépenaillé aux commandes de l’attelage, deux chiens
efflanqués traînant leur peine et leur fidélité sous la cabane à roulettes : les bohémiens
sont là ! Ils vont s’installer comme chaque année sur la petite place qui
jouxte ma maison familiale et j’aurais tout le temps de les observer.
Le soir venu, le cheval dételé broute l’herbe du fossé, deux poules en
liberté surveillée grattent le sol, les chiens sont déjà en quête de
quelques restes et les gamins, difficiles à compter, tournent autour d’une
jeune femme brune qui aménage les alentours. Le père au teint cuivré dispose ses outils.

Demain, il ira dans les maisons à la recherche de vieilles casseroles ou de
chaudrons fatigués pour les rétamer ou les rapiécer. Sa femme présentera
les paniers en osier de sa dernière fabrication et quémandera quelques œufs
ou du lait pour sa maisonnée. En attendant, le tuyau percé du poêle émet un
filet de fumée. Le vent et la pluie flagellent les planches disloquées de la
maison portative.

D’où viennent ces étranges créatures qui parlent et jurent dans une langue
inconnue ? Libres comme l’air, les enfants ne vont pas à l’école ! Quelle
chance ont-ils de connaître le monde, de mener le cheval à leur guise, de
monter aux arbres comme les acrobates du cirque ! Pas d’horaires, pas de révisions,
pas de devoirs, pas de punitions ! La belle vie ! Le menu du soir n’a pas l’air
de les préoccuper et pour cause : il sera léger. Songeront-ils dans leur sommeil d’enfant à la douce chaleur des étables, aux soupes fumantes des tables garnies, aux cahiers bien remplis d’écriture soignée?
Qui l’emportera dans la tête du sage écolier: la fascination pour l’étrange ou la répulsion pour une vie de misère ? Le rêve aura longtemps le dessus.
Le lendemain, Monsieur l’Instituteur nous apprendra qu’il ne faut pas dire « Bohémiens » mais
" Romanichels ». Monsieur le Curé nous rappellera qu’ils sont eux aussi « enfants de Dieu ».

La rossinante et la roulotte ont disparu. Casseroles et chaudrons n’ont plus
besoin de la protection de l’étain. Curieusement, les paniers ont des
roulettes et chacun a appris à pousser sa petite roulotte dans les hypermarchés.

Caravanes et cylindrées s’entassent dans des aires de « stockage »
ou de passage…Elles ne font plus rêver les enfants des écoles, ni leurs
parents.

Hormis l’origine du mot, les roms d’aujourd’hui, n’ont rien à voir avec les fils du vent ou du bitume. Traîne-misère chez eux, ils ont échoué du côté des déchets industriels de nos grandes villes. Eux qui rêvaient d’une autre vie sont devenus, semble-t-il, le cauchemar du gouvernement.

Mon père Abraham, était, me dit l’Ecriture un « Araméen errant ». Lui, parvient encore à me faire rêver…Pharaon voulut l’éliminer, le vagabond lui échappa. Le souverain déifié nous laissa les écrasantes pyramides ; le nomade, la liberté des enfants de Dieu. Mais, qui racontera aux enfants des campements sordides, l’histoire du Père dans la Foi pour leur rendre dignité, fierté et sens des responsabilités ?

07 septembre 2010

L’Eglise doit-elle intervenir dans les questions sociales? Lectures pour temps de crise.




L’enseignant comme le cultivateur profite de l’été pour mettre de côté les provisions dont il aura besoin le reste de l’année. En vue des futures formations à proposer, il doit largement moissonner pour ne retenir parfois que quelques ingrédients nécessaires à sa réflexion. Parmi mes lectures ou mes relectures de l’été, je me permets d’en signaler deux.

A tout Seigneur tout honneur, Benoît XVI et son encyclique sociale « Caritas in Veritate ». Je l’avais déjà lue avec le sentiment d’avoir affaire une fois de plus à un empilage de citations de ses prédécesseurs et à une simple actualisation de principes répétés chaque pontificat. Ayant à présenter son thème central qui est celui du développement, je l’ai relue minutieusement complétée par de multiples commentaires. Nous avons là une véritable somme de la doctrine sociale de l’Eglise. Le Pape, en professeur magistral, nous offre une vaste synthèse à la fois théologique et sociale de ce qu’implique la pratique de l’amour du prochain. Deux innovations de taille dans la pensée de l’Eglise.

1- La charité ne peut faire fi de la réflexion et de la raison, sinon elle vire au sentimentalisme éphémère qui ne s’inscrit pas dans le concret et dans le durable.

2- L’économie mondiale ne peut oublier la gratuité car à l’origine, tout est don : Un encouragement à toutes les initiatives qui essaient de conjuguer le profit et le développement du partenaire. Mais l’éthique ne se décrète pas sur simple étiquette.

Une fois assurés ces deux principes, le texte déploie l’ensemble des activités humaines, y compris les plus inattendues, pour en dégager la dimension sociale et charitable. Aussi une mère de famille, un médecin, un entrepreneur, un artisan, un paysan, un économiste, un maire, un journaliste, un humanitaire, un député, un écologiste peuvent tirer partie de cette lecture qui suppose cependant une petite introduction.



A tous ceux et celles qui déplorent parfois que les chrétiens ne soient pas plus actifs face à la misère du monde et qui se contentent de lever chaque fois le drapeau de l’abbé Pierre ou de mère Thérésa, je conseille la lecture de « Justice dans la peau, géopolitique de l’action humanitaire » écrit par Denis Viénot, ancien président de la Caritas internationale (édition DDB). Le nombre de réalisations soutenues par les Caritas locales (comme notre Secours Catholique) et l’expertise qui découle de ces expériences vous coupent le souffle. Et ceci n’est qu’une partie de l’action menée par l’ensemble des organismes d’inspiration chrétienne de par le monde.

Cet ouvrage est un bon complément de l’encyclique et son abord est plus facile. On peut cependant regretter que tous ces organismes ne fassent pas plus de tapage dans les médias. Mais nous savons depuis quelques temps qu’on ne peut pas occuper les écrans et travailler en profondeur, et, depuis encore plus longtemps, que « le bien ne fait pas de bruit ».

A propos, saviez- vous que le fondateur des banques alimentaires en France est un chrétien inspiré en cela par l’action d’une religieuse? Merci Bernard Dandrel.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.