24 décembre 2011

Visitation.


« Dès qu’Elisabeth eut entendu la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en son sein et Elisabeth fut remplie de l’Esprit Saint. Alors, elle poussa un grand cri et dit : « Tu es bénie… Dès que ta salutation a frappé mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein… » 
Lc 1, 39

Une visitation est un ébranlement de forte magnitude, elle pénètre et secoue en profondeur. Elle implique tout notre être dans ce qu’il a de plus intime, elle engage l’avenir de chacun, elle appelle l’inattendu, elle convoque le ciel sur la terre.

Elle n’est pas visite de courtoisie ou simplement utilitaire. Elle est communion savoureuse de présences offertes, moment de grâce, d’harmonie paisible, de plénitude sereine,
 « tressaillement » de l’Esprit qui soulève les êtres au-dessus d’eux-mêmes. Alors, à l’image de Marie, une jubilation, une action de grâce jaillit de nos lèvres :«Mon âme exalte, exulte… » ou plus prosaïquement comme les apôtres au Thabor : « Que l’on est bien, installons-nous ! »

Ces instants sont aussi rares qu’éphémères. Le quotidien s’engouffre par les fenêtres et se charge de recouvrir notre ravissement de montagnes de soucis. La raison, un temps égarée, reprend ses droits et ses esprits... étroits. Mais cette goutte d’eau pure a amplifié notre soif à l’infini et jamais nous ne serons désaltérés.

A moins que ces heures précieuses ne soient un avant-goût de ce que sera la grande visitation de Celui qui est plus présent à nous que nous-mêmes mais sous le voile de la Foi.

Noël : « Dieu vient visiter son peuple. » Encore faut-il nous rendre capables de nous étonner qu’Il envoie un ange frapper à notre porte verrouillée…

Je vous souhaite, en cette nouvelle année, de belles et fécondes visitations.

Frontières, fractures et passeurs.


La ligne majestueuse des Pyrénées barre l’horizon. Ici la France, là bas l’Espagne. Ligne de défi : suffisamment nette pour marquer la séparation, mais assez large et poreuse pour susciter rencontres et visitations. Depuis toujours, elle a été franchie.

Certains ont creusé des tunnels. Perforeuses, pelleteuses, excavateurs, tels de géants scarabées aux mâchoires monstrueuses, ont fissuré, entaillé, explosé, avalé et projeté des tonnes de roches, de terre, de ciment et d’acier. Un jour, les tunneliers opposés se sont rencontrés, se sont congratulés et ont laissé place aux officiels. Ceux-ci ont coupé un ruban, pris la parole, ont aligné chiffres, pourcentages et avalanches de promesses économiques et financières. Ils ont trinqué à l’amitié et à l’intérêt des peuples. La voie royale est désormais ouverte aux chenilles de wagons ou aux caravanes de camions. Nos besoins sont comblés.
 La montagne est percée et désormais, ignorée.

D’autres ont décidé de passer par les hauteurs. Ce sont ces montagnards légèrement équipés qui baladent leur silhouette sur les lignes de crêtes en s’offrant de temps en temps la vue infinie que leur offre l’observatoire d’un sommet. Ils croisent souvent d’autres amoureux de ces hautes randonnées qui viennent du versant opposé. Ils ne manquent jamais d’échanger quelques mots maladroits dans la langue de l’autre. De quoi parlent t-ils ? D’abord, de l’autre. De la montagne, du temps qu’il fait, du brouillard qui menace, du chemin à prendre, du panorama à contempler. Ensuite seulement, ils demandent d’où ils viennent, s'ils sont espagnols, aragonais, basques ou béarnais. Et ils repartent souhait aux lèvres, adios, à Dieu…

Enfin, ils y a ceux qui, depuis des millénaires fréquentent les pâturages et les cols, suivant en cela l’itinéraire sinueux de leurs troupeaux. Ce sont les bergers. Ils savent bien que les bêtes ignorent la frontière et que la tentation est forte de voir si l’herbe du voisin est meilleure. 
Au gré des frictions et des batailles antérieures, un code traditionnel de bonne conduite réciproque s’est lentement imposé et chaque été donne lieu à quelques rencontres quasi rituelles. De quoi parlent ces pasteurs réunis autour d’un verre de vin ? De la santé des hommes et des bêtes, des caprices du temps, de la cherté de la vie, de la mévente de leurs produits. Et puis, de l’enfant qui est né, de l’ancêtre qui est parti, du changement de gouvernement. La vie comme elle va, avec ses satisfactions et ses imprévus, ses coups durs et ses sourires…. Santé ! A la vôtre !

Il en va des rencontres des religions comme du passage des frontières. Nous connaissons ces chercheurs de tous bords qui scrutent les textes fondateurs, rongent les parchemins, fourbissent des colonnes d’arguments, réunissent des colloques et éditent les discours officiels qui serviront d’outils aux prochaines avancées. Ils pourraient même risquer de manquer le rendez-vous avec ceux d’en face, tellement ils sont occupés à leur chantier de titans. De la connaissance jaillira l’unité !

Ignorant souvent le travail en profondeur, les fidèles des diverses religions vivent leurs traditions au quotidien. Il leur arrive parfois de s’inviter aux fêtes des différents calendriers, de partager un repas, d’échanger des recettes et leur savoir-faire. Les mamans donnent des nouvelles de leurs grands enfants et les pères se congratulent pour un mariage annoncé. Et si nul ne vient souffler sur de vieilles braises, la vie se passe à l’aulne des distances et des rapprochements librement consentis et codifiés par un long usage.

Pendant ce temps, les veilleurs, installés sur les crêtes savourent le plaisir de se retrouver parce qu’ils n’ont jamais quitté des yeux l’autre cime inaccessible, celle qui les dépasse, mais qui reste leur raison d’être et de marcher.

Hubert de Chergé et Khaled Roumo sont de ceux-là. Le frère du prieur de Thibirine assassiné, est un « habité ». Son ton méditatif vous renvoie sans cesse à un au-delà de lui-même, une Présence ou des présences qui auraient pu le hanter, mais qui au contraire le pacifient. Son ami musulman, auteur de « Le Coran déchiffré selon l’Amour (1) », je le qualifierai « d’inspiré ». Son verbe choisi et enjoué trahit son naturel de poète, mais sa parole vous perfore jusqu’au creux de votre être. « Aller à la rencontre de l'autre et le découvrir tel qu'il aime se révéler" : c’est à ce niveau- là que peut se situer selon eux une rencontre inter-religieuse, d’autant plus féconde qu’elle renvoie l’autre à être encore mieux chrétien ou mieux musulman.

En les écoutant, je me prenais à rêver. Quelle société pourrait faire cohabiter ces trois étages de passeurs de frontières, de guérisseurs de fractures, aussi indispensables les uns que les autres ? Quand, les discours politiques ou religieux, rivés sur la conquête ou le maintien du Pouvoir ou de la Vérité, s’interdiront-ils d’instrumentaliser les approches diverses du divin ? Enfin, n’a-t-on pas trop tendance à prendre à la lettre le rêve d’Isaïe qui voulait que son Dieu comble les ravins et rabote les montagnes…en oubliant que nous ne sommes pas Dieu…

(1) aux éditions Alphée, Koutoubia, 2009

23 novembre 2011

Histoire de pierres…

Jacob, berger comme ses pères, transhume de Ber Shéva à Haran. La nuit tombe. Il a sommeil. Il prend une pierre, la place sous sa tête et s’endort. Et voilà qu’un songe envahit son esprit embué. Une échelle monte jusqu’au ciel, des anges montent et descendent. Dieu se fait entendre et lui renouvelle la promesse faite à Abraham : « La terre sur laquelle tu es couché, je la donne à toi et ta descendance » (Gn 28,13).

Jacob dresse la pierre, à la façon des autels païens, et la consacre d’une onction d’huile.

« Dieu est ici et je ne le savais pas !» s’exclame-t-il. Il appelle cet endroit Bethel : la maison de Dieu.

Jésus, prophète itinérant, passe par un village de Samaritains et essuie un refus de l’accueillir. Quelqu’un le rattrape et lui promet de le suivre sans conditions. Jésus lui répond : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête » (Lc 9,58). N’y a-t-il donc pas une seule pierre pour recueillir sa fatigue ou sa prière ? Qu’est devenue la promesse maintes fois réitérée depuis Jacob, d’une terre hospitalière, riche, abondante et paisible ? Cette pierre manquante est-elle le signe de l’échec ou celui de la réussite du projet de Dieu pour son peuple?

La Bible tout entière déroule sous nos yeux l’histoire parallèle de la Terre et du Temple que l’on peut lire à deux niveaux. Soit comme la manifestation parfois cachée à notre entendement de la volonté de Dieu qui réalise sa promesse, soit comme une sorte de rétrécissement progressif de celle-ci. L’acte universel de création qui préside la genèse du monde laisse la place à la création particulière du peuple d’Israël. Celui-ci se réduira au fil d’une histoire chaotique au minuscule territoire de Juda. Les prophètes, ne supportant pas cette asphyxie programmée, ouvriront portes et fenêtres sur l’horizon de « cieux nouveaux et d’une terre nouvelle » qui enchanteront la fin des temps. Mais que devient le projet bien concret d’une terre où « coulent le lait et le miel » ?

Le Temple remplacera la pierre rudimentaire de Jacob quand Josias réunira tous les lieux de culte particuliers (dont Bethel) sous l’autorité de Jérusalem. Le Temple se voulait le signe indéfectible de la présence de Dieu et le cœur palpitant d’une terre fidèle. Force est de constater qu’il a, finalement, enfermé la « Présence » dans une enceinte étroite et l’a liée à un joug rigide et pesant. Il faudra, ici aussi, l’audace d’Ezéchiel, pour redonner des ailes au Dieu de Jérusalem et l’envoyer résider auprès de ses fidèles captifs à Babylone.

Jésus prend manifestement ses distances avec la terre : « N’amassez pas des trésors sur la terre.. » ainsi qu’avec le territoire d’Israël qu’il cite rarement. Il n’oublie pas que, déjà, la Loi de Moïse interdisait au croyant de se comporter comme un propriétaire. Tel un bon métayer, la liturgie des prémices enjoignait au fidèle du Temple de rendre au Créateur tout premier-né des fruits de la terre ou du bétail. Ainsi la reconnaissance du don de Dieu permettait une gestion éthique de la terre. Le prophète de Nazareth est plus axé sur l’annonce du Royaume qu’il inaugure. Ce Royaume n’est pas affaire d’économie ou de géographie, mais avant tout de personnes répondant au programme des Béatitudes : « Heureux les …le Royaume est à eux » ; « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » ; « Les publicains et les prostituées vous précéderont … »

Quant au Temple, l’attitude de Jésus est sans ambiguïté. « Il n’en restera pas pierre sur pierre… » Les évangélistes qui rapportent ses propos, certainement après sa destruction par Titus, veulent nous faire comprendre que Jésus se présente comme le vrai et unique Temple : « Il parlait du temple de son corps ». Le nouveau « Bethel », c’est lui. « L’autel, le prêtre et la victime » c’est encore lui.

Désormais, le Nouvel Adam sera lui-même cette terre nouvelle qui façonnera « l’homme nouveau » et qui le nourrira également en lui offrant le pain et le vin d’une Vie autre.

Ainsi la terre de Jacob n’a pas disparu. Elle s’est concentrée (dernière réduction !) en Jésus. Et cette opération s’est accomplie, comme la première création dans un jardin, celui de la Résurrection (« Elle le prit pour le jardinier »). Mais, auparavant, il a fallu que le Fils de l’homme passe par un autre jardin, celui du pressoir.

Et la pierre ? Jésus, pierre d’angle de la nouvelle maison de Dieu, en a trouvé une. 
Elle s’appelait Simon. « Et sur cette pierre… ». Et celui-ci, ou l’un de ses disciples, rappellera aux premiers chrétiens qu’ils sont à leur tour « pierres vivantes » de l’édifice construit sur les apôtres.

Ni échec, ni réussite de la promesse initiale, mais bien plutôt accomplissement puisque chaque baptisé est appelé à recevoir une petite pierre blanche comme sésame de la vie éternelle. « Au vainqueur, je donnerai de la manne cachée ; je lui donnerai aussi un caillou blanc, un caillou portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit » Ap 2,17

Jacob ne se doutait pas de la destinée divine de son rude oreiller…et de la fécondité de son sommeil léger. Mais « c’était de nuit » aurait ajouté Jean de la Croix…

18 septembre 2011

Lectures en vrac...


Daniel Duigou"Vanité des vanités" Albin Michel 2010

Un commentaire original du livre de l'Ecclésiaste (le Qohelet) à trois voix par un bibliste, un psychologue, un amoureux du désert. Il se trouve que l'auteur est les trois à la fois. 
Ancien journaliste de télévision devenu psychiatre, Daniel Duigou a construit une casbah dans l'oasis de Skoura qu'il appelle son ermitage. On y trouve un Qohelet qui se libère de tous les faux dieux mais aussi, et entre autres, une belle interprétation du jeune homme "vêtu d'un simple drap" qui s'enfuit au moment de l'arrestation de Jésus.

Deux itinéraires: l'un d'un archevêque, l'autre d'un curé.

Joseph Doré "A cause de Jésus ! Pourquoi je suis demeuré chrétien et reste catholique" Plon 2011

Mgr Joseph Doré relit sa vie d'archevêque de Strasbourg. A la fois théologien et pasteur, il se trouve au coeur de trois crises. Celle de la calomnie qui aurait pu tuer sa réputation; celle de l'épreuve de santé qui l'a obligé à démissionner, et celle de l'Eglise affrontée à des "questions qui fâchent" et qu'il n'élude pas. Malgré tout, l'évêque-courage attend un nouveau printemps.

Gérard Bénéteau "Journal d'un curé de ville" Fayard 2011

Il a trouvé sa voie chez lez Oratoriens, disciples de Bérulle, non sans avoir voulu comprendre l'histoire qu'il vivait et connaître celle qui le précédait. Il se retrouve curé de Saint Eustache côtoyant le monde chatoyant des artistes malheureusement frappé par l'épidémie du sida. Une occasion pour l'auteur de partager sa réflexion de chrétien et de prêtre sur les questions qui touchent notre société avec une lucidité qui ne lui vaut certainement pas que des amis dans le monde ecclésiastique et catholique. Il complète son itinéraire en acceptant d'être le supérieur de l'Oratoire et écourte son dernier mandat, étonné par les changements qui semblent affecter l'Eglise de France.

Pour ceux qui labourent sans cesse la terre de la Bible et qui suivent l'actualité du Proche-Orient: " La terre, la Bible et l'histoire" Bayard 2006 par Alain Marchadour, notre ancien exégète de Toulouse qui revient d'un long séjour à Jérusalem en tant que supérieur des Assomptionnistes à Saint-Pierre en Gallicante et David Neuhaus, jésuite israélien. Ceux et celles qui ont "pèleriné" en Terre Sainte et qui veulent comprendre un peu la complexité de l'histoire qui se noue autour de ce territoire trouveront de quoi rassasier leur curiosité. L'ouvrage aborde également la question des diverses lectures chrétiennes de cette terre et examine les textes officiels de l'Eglise catholique sur le sujet. Encore de quoi piocher et labourer...Alain Marchadour est toujours le bienvenu à Pau et il le sait.

Sortons un peu de la littérature ecclésiastique avec le dernier Guillebaud « La Vie Vivante contre les nouveaux pudibonds » Les Arènes 2011. Je ne saurais jamais assez remercier Jean-Claude Guillebaud de nous permettre d'économiser autant de lectures spécialisées et peut-être fastidieuses pour certains d'entre nous. Depuis des années dans un style limpide et avec une clarté d'exposé remarquable, il nous propose une lecture synthétique et critique des cultures contemporaines. Dans ce dernier ouvrage, il s'attaque à celles qui se veulent "dominantes". Ceux et celles qui ont reçu mon dernier article sous forme d'homélie du 15 Août et qui ont lu "La Vie Vivante" ont compris où se trouvait une partie de mes sources. Jean-Claude Guillebaud a accepté de venir nous rencontrer à Pau le 4 mai 2012 en soirée. Venez respirer une bouffée d'oxygène avec celui qui, à l'occasion, arpente nos Pyrénées...

Jean D'Ormesson "C'est une chose étrange à la fin que le monde" Robert Laffont 2010

Trois cents pages autour de la vie, la survie, la mort et l'éternelle question de Dieu, sans une seule seconde de lassitude. Un éblouissement de culture, de finesse, de littérature mais aussi d'une certaine légèreté, bien dans le style de l'auteur, étincelant...et insaisissable. C'est là tout l'art du charmeur ! Il n'empêche qu'après cette lecture, le croyant referme le livre en se disant : "Je ne suis pas le dernier des crétins... Croire a du sens, aujourd'hui comme hier."

Enfin, pour les puisatiers des sources vives et profondes, de Sylvie Germain "Quatre actes de présence" DDB 2011. Ici le commentateur se tait. Rien à dire mais tout à relire, par petites gorgées, en prenant tout son temps, surtout pour les deux derniers chapitres quand la présence se fait amitié et silence. Un condensé de mots qui vous vrille "jusqu'à la jointure de l'âme" dirait St Paul.

Bonne lecture...

28 août 2011

Marie, quel genre ? Extraits d’une homélie du 15 Août à Laruns (64)




D’abord pourquoi dit-on « Assomption » quand il s’agit de Marie et « Ascension » pour Jésus ? Tout simplement parce qu’on n’a jamais confondu le statut de Jésus et celui de Marie. Jésus nous le croyons est Dieu. Marie n’est pas divine. Jésus revient chez le Père, chez Lui. Et l’on parle d’Ascension car Dieu est supposé plus haut; la vie de Marie est assumée par son Fils qui la prend avec Lui, « Assomption ». Il n’y a donc pas confusion entre le Fils et la Mère. Celle-ci reste « Femme » : « Femme mon heure n’est pas venue… ». Donc pas de confusion. Rappeler cela n’est pas sans importance aujourd’hui.



Relisons encore une fois, les termes mêmes du dogme de l’Assomption : « La Vierge immaculée, préservée par Dieu de toute faute originelle, ayant accompli le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire du ciel, et exaltée par le Seigneur comme la reine de l’univers, pour être ainsi plus entièrement conforme à son Fils… »



Que pouvons nous retenir de cette vérité de Foi?

1- D’abord une affirmation claire de la place de Marie et par conséquent du rôle de la femme dans l’histoire du Salut.

2- Ensuite un rappel de l’importance de notre corps dans la vie chrétienne.



La femme, le corps, l’union de l’homme et de la femme, la sexualité, la procréation autant de sujets sur lesquels, l’Eglise, aux yeux d’une majorité de nos contemporains, est disqualifiée. Ce n’est pas ici le lieu d’en rechercher les causes mais le contentieux est déjà ancien.



Dieu sait pourtant si le corps de l’homme, celui de la femme, leur union, l’enfantement ont inspiré le génie humain que ce soit en peinture, en musique, en littérature et dans toutes les sortes d’arts et ceci chez les chrétiens comme chez les autres.

Mais Dieu sait également combien ces réalités ont prêté à toutes sortes de plaisanteries graveleuses, à la grossièreté, au mépris, à la dérision ; combien elles ont été avilies, ont donné lieu aux comportements les plus bestiaux et aux actes les plus répréhensibles. Dans de nombreuses cultures les femmes ont été et restent encore considérées comme des mineures, quand ce n’est pas comme des objets.



Dans les années 70, des chercheurs américains ont considéré que pour remédier à cet état de fait, il fallait supprimer tous les motifs de discrimination entre l’homme et la femme. Nous le savions déjà, mais ils tenaient à nous rappeler qu’une partie de notre orientation sexuelle était influencée par notre contexte social et culturel. Combien de fois ne nous a-t-on pas dit « Ne pleure pas comme une fille… » et ceci en disait long sur ce que devait être un garçon ou une fille. Mais certains vont pousser ce qu’on appelle la « théorie des genres » jusqu’à affirmer que désormais notre détermination sexuelle dépend davantage de notre propre décision que de notre biologie. Au passage les différences entre homme et femme passent à la trappe ; les revendications des unions homosexuelles en matière de mariage et de parentalité sont tout à fait légitimées, de même que sont justifiées la bisexualité, la transsexualité et toutes les remises en cause du modèle familial dit traditionnel.

D’autres théories vont encore bien plus loin en faisant miroiter une humanité tellement transformée par les progrès de la science que la question même d’être homme ou femme sera totalement superflue. Il y a cinquante ans, la lecture du « Meilleur des mondes » nous faisait frissonner. Aujourd’hui les prophéties de l’auteur de cet ouvrage, Aldous Huxley, sont largement dépassées et se trouvent à la portée de notre savoir-faire.

Vous me direz : « Nous n’en sommes pas là ! » Détrompez-vous. Un grand hebdomadaire titrait la semaine dernière : « Homme et femme, la fin des tabous » et présentait en fin de dossier cette fameuse théorie de genres.



Vous devez vous demander mais quel rapport avec l’Assomption de Marie ? Nous n’en sommes pas si loin. Et cette célébration de la Vierge nous donne l’occasion de nous rappeler quelques fondamentaux que l’on traduira par de simples commandements. Rassurez-vous, il n’y en aura que sept.



Marie est une juive, imprégnée de la culture biblique. Or le livre de la Genèse nous dit qu’au commencement du monde, la nature est un cadeau que Dieu fait à l’être humain, que la femme est donnée à l’homme et vice-versa dans l’unique but de devenir « image » de Dieu. Premier commandement : Tu respecteras la nature qui est œuvre de Dieu, tu honoreras l’homme et la femme parce qu’ils sont « images » de Dieu.



Pour arriver à cette fin, une loi est donnée à l’homme et à la femme. Vous ne mangerez pas tout, vous laisserez la part de Dieu, le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Autrement dit, pas de confusion entre le divin et l’humain, comme nous l’avons dit au sujet de Jésus et de Marie. Deuxième commandement : Tu ne te prendras pas pour Dieu ni toi, ni une autre créature sous le soleil.



En Jésus, Dieu veut partager notre condition humaine y compris notre corps avec toutes ses potentialités, mais aussi toutes ses lourdeurs. Et Il s’est fait homme… « jusqu’à la mort » Troisième commandement : Tu soulageras le corps de toute souffrance et tu dépasseras ses limites naturelles par un surcroît d’amour.



Marie accueille Jésus et pourtant dit-elle : « Je ne connais pas d’homme ». Cela veut dire que la féminité de Marie ne se réduit pas à l’exercice de la sexualité. Et ceci est vrai aussi pour tout homme et toute femme. Quatrième commandement : Tu ne réduiras pas l’autre à son sexe.



Mieux encore. Marie dans l’Evangile de St Matthieu casse la généalogie de Jésus qui, jusqu’à elle, est transmise par les hommes. Cependant, un père est donné à Jésus. Lui aussi, malgré sa situation marginale, a exercé sa paternité : « Vois, ton père et moi, nous te cherchions… » Cinquième commandement : Autant que cela est dans ton pouvoir, tu donneras à l’enfant un père et une mère.



Malgré sa conception virginale, il n’est pas question pour Marie d’être dispensée de sa grossesse, des douleurs de l’accouchement et des soucis d’une maman. Elle reste bien femme tout en assumant son rôle éminent. Sixième commandement : Tu ne confondras pas l’empreinte de la nature humaine avec la condition sociale d’une personne.



Enfin, son Fils Jésus ressuscitera dans son corps et nous proclamons tous les dimanches « Je crois en la résurrection de la chair ». Notre corps, c'est-à-dire nous-mêmes, avons un fabuleux destin : participer à la divinité sans cependant être dieu. Septième commandement : Tu aimeras ton corps et celui des autres car ils sont les temples de l’Esprit saint.



Voilà les quelques fondamentaux qui, je le crois, peuvent être partagés par un grand nombre de nos concitoyens même s’ils ne partagent pas notre Foi. Ils valent bien ceux qui nous promettent une humanité à la merci du bon vouloir de chacun …



29 juin 2011


Variations sur le Pain, la Manne, la Parole, la Vie, le Corps et le Sang…



Le discours sur le pain de Vie (Jn6) présente un aspect tellement cru que même les contemporains de Jésus ont eu du mal à l’avaler : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair… si vous ne mangez ma chair, si vous ne buvez mon sang… celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi… »

« Comment cet homme là peut-il nous donner sa chair à manger ? » rétorquent les auditeurs !



La liturgie de la fête du Saint Sacrement nous offre, comme en avant goût, le texte du livre du Deutéronome (8, 2-3 ;14-16) qui relate l’épisode du don de la Manne dans le désert.

Rappelons-nous que cet aliment inusité, comme d’ailleurs l’eau du rocher frappé par Moïse, est donné à la suite des commandements c'est-à-dire de la Parole de Dieu sur le Sinaï. Ce qui permet à l’auteur de déclarer que ce don est fait pour rappeler à l’homme « qu’il ne vit pas seulement de Pain, mais de toute Parole issue de la bouche de Dieu ». Le parallèle entre la manne et la Parole ou encore la Loi est établi.



A l’époque du prophète Ezéchiel la Manne a disparu depuis longtemps. Et voilà qu’il reçoit l’ordre de manger un rouleau de la Parole. « Fils d’homme nourris-toi, rassasie-toi de ce volume que je te donne » (Ez 3,1-2). Ici, c’est la Parole elle-même qui se fait nourriture. Avant de manger l’Agneau de la Pâque chacun se nourrissait de la parole de Dieu inscrite dans l’histoire du peuple que rappelait le père de famille. Ecouter et lire maintiennent une certaine distance et ne suffisent plus. Manger et boire nous font devenir nous-même parole vivante.



Nous savons par ailleurs que le don de cette Parole ne cessera pas comme celui de la manne, mais que la Loi ne parviendra jamais à rassasier l’homme, y compris quand on lui donnera les attributs de la Sagesse (Sir 24, 21-22).




Jésus, le Verbe, nous dit « Mangez mon Corps et buvez mon Sang, prenez ma Vie » car ils sont offerts sans le truchement du symbole, de la transcription, de la transmission et surtout sans l’obstacle du péché du récepteur qui vient en fausser le sens. Par le fait même ce Pain nouveau peut prétendre nous rassasier. « Ils mangèrent et furent rassasiés » (Mt 14,20)



Le lien de la Manne, de la Loi, de la Vie avec la Parole est primordial. Il rejoint notre expérience humaine.

Que serions-nous sans les paroles échangées entre un homme et une femme, celle de notre père et de notre mère, qui un jour ont décidé d’accueillir l’enfant à naître que nous étions ? Que serions-nous sans ces innombrables paroles prodiguées par eux, par nos maîtres d’école, par l’Eglise qui, au-delà des actes essentiels de l’existence, nous ont appris à vivre en Homme ? Seul l’être humain dans le règne animal peut dire qu’il a été voulu et désiré et qu’il n’est pas seulement le fruit d’un acte instinctif de conservation de l’espèce. C’est là toute la différence entre exister et vivre. Exister n’exige pas la parole. Vivre à hauteur d’homme l’impose. Nos vaches en stabulation s’alimentent ensemble, mais en silence. L’être humain (surtout français !) prend un repas durant lequel il parle et c’est cette parole déliée qui lui fait dire parfois «qu’il a passé un bon moment en agréable compagnie… »



Paul nous dit bien que le Baptême, comme tout sacrement est un bain (un acte) « qu’une parole accompagne » (Ep 5,26) Notre Eucharistie sera donc aussi un repas qu’une Parole accompagne (« Ceci est mon corps… ») et c’est bien cette Parole Vivante qui, non seulement nous fera passer de l’existence à la vie, mais encore à la Vie en Dieu, appelée autrement « Vie éternelle ». C’est pour cela aussi qu’on distingue sans jamais les dissocier les deux tables : celle de la Parole et celle du Pain.





Un texte, fût-il « Parole de Dieu », comme un plat, prend toute sa saveur quand il prend place dans un contexte ou un repas… « Heureux les invités au repas du Seigneur ! »



09 juin 2011

On l’appelle Djou :


Vingt quatre ans d’enthousiasme, un sourire lumineux, des yeux pétillants, de chaleureuses embrassades à chaque retrouvaille. Julia accumule licence et masters, sillonne de stage en stage l’Amérique du Sud et aimerait mettre ses compétences au service d’une ONG. L’idéal de nos 20 ans mais, numérisé, informatisé, modernisé.

Je lui offre, avec précaution, une petite croix, souvenir de Jérusalem, en lui disant : « Si tu ne penses pas à LUI, tu penseras au moins de temps en temps à moi ». D’un seul coup elle devient très sérieuse. Le sujet ne supporte pas la désinvolture et surtout elle ne voudrait pas me faire de la peine.

« J’ai été au catéchisme, j’ai étudié la religion. Je n’ai pas fait ma Confirmation, car je ne me sentais pas prête. Maintenant, j’adhère aux valeurs de l’Evangile et du Christianisme mais je me suis éloignée de l’Eglise. Trop d’hypocrisies, de volonté de puissance, de mondanités… »

Je sens bien que la liste des griefs pourrait se prolonger…

« Julia, je suis étonné qu’une jeune de ton âge ressasse encore ces poncifs éculés. Je les entends depuis l’époque de mon séminaire. Il faut croire qu’ils sont vrais et qu’ils dureront autant que l’Eglise.

Je te répondrai par une image. Quand tu es en montagne et que tu meurs de soif, tu aperçois un de ces vieux abreuvoirs bâtis par les bergers avec les matériaux rustiques qu’ils avaient sous la main. Un simple morceau de tuyau tout rouillé, percé, obstrué par la végétation laisse échapper un mince filet d’eau. Que fais-tu ? Vas-tu refuser de boire sous prétexte que le tuyau ne répond pas aux normes de l’hygiène ? Vas-tu lui reprocher de n’être pas en acier inoxydable et rutilant ?

Il en est de même pour l’Eglise. Vingt siècles de services et de sévices l’ont abîmée, usée, obstruée, tordue. Elle a dû supporter toutes les saisons, la brûlure des déserts, le gel des hivers. Elle a traversé tous les régimes et toutes les cultures oubliant parfois de se débarrasser des mauvaises habitudes empruntées ça et là. Mais l’Eglise te donne l’eau pure du Christ, son Evangile. Sans elle, les paroles de ce crucifié galiléen ne seraient jamais parvenues jusqu’à nous ; sans elle, la source se serait perdue dans les sables de l’histoire ; sans elle, ceux et celles qui sont privés des synthèses magistrales et des analyses pertinentes auraient depuis longtemps perdu la perle de l’Espérance. L’Eglise, malgré ses bavures, ses turpitudes et ses lâchetés accueille toujours ces « affamés d’autre chose » qui ne se contentent pas des bonheurs frelatés de supermarchés.

Elle distille une Parole qui n’est pas d’elle et qui la crucifie dans le même temps qu’elle la dispense. Et c’est pourquoi, elle ne sera pas jugée sur sa pureté et ses hauts faits mais sur les cicatrices encore ouvertes de ses blessures et de sa compassion pour ceux qui ne comptent pas. »



« Je n’avais pas pensé à cela… » répond Djou.



« Mais je te rassure Djou, ma comparaison avec le tuyau est mauvaise. L’Eglise n’est pas un simple tuyau. Elle n’est pas un instrument mais un sacrement : un signe visible, lisible et nourrissant. Alors sois exigeante avec elle mais, comme tu l’es avec ta maman, à laquelle tu restes si attachée… »



Ajout tardif : « Je vais te paraître ignoble mais à propos d’hypocrisie, la vie t’apprendra qu’elle a parfois du bon. Il t’arrivera un jour d’être dégoûtée par le décalage entre la façade que tu montreras aux gens et le désordre qui régnera à l’intérieur de toi-même. Ce jour là ne t’empresse pas de démolir la devanture pour la mettre en conformité avec l’arrière boutique. Il arrive que l’image que nous renvoyons aux autres nous évite la ruine totale de notre être et qu’elle soit la dernière pierre sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour nous reconstruire.

24 mai 2011




Terre sainte.

Le dimanche soir vous arpentez les dédales de Roissy, attelés à vos valises à roulettes, les yeux hypnotisés par les panneaux indicateurs, maugréant contre les hésitants qui « bouchonnent », évitant de justesse le bagage qui dérape de sa trajectoire. Le lundi matin, au saut d’un bref sommeil, vous écarquillez les paupières sur le désert d’Arad et les antiques montagnes de Moab et d’Edom. Une nuit suffit pour remonter des siècles et traverser Beer-Shéva, la ville du puits du sept serment, en compagnie d’Abraham, « l’Araméen errant », d’Isaac « le ligaturé », d’Abimélek, le querelleur et d’Elie, le Thisbite.

Le Néguev : Splendeur et majesté se conjuguent ici avec frayeur et humilité.



Prise en main immédiate par Michel, le guide israélien, copain avec les cananéens idolâtres, parent avec les chefs des tribus bédouines de Juda, descendant des rois et des prophètes d’Israël, discutant avec les grecs, guerroyant avec les romains, déambulant dans les basiliques byzantines, fortifiant les cités avec les croisés, fouillant la Torah, creusant les Evangiles et citant le Coran.

Et voilà que les pages de la Bible se lisent à ciel ouvert, sur les collines de Bashan, marchent sur les eaux de Tibériade, se cachent entre les rives du Jourdain, se proclament au sommet des Béatitudes, se perdent dans l’agitation de l’esplanade du Temple. Par contre, il faut traverser les strates de pierres pour imaginer l’étable de Bethléem, la trouée du sépulcre, l’emplacement de la Croix et la vie cachée à Nazareth.



Pour les habitués des textes, l’existence historique de Jésus ne fait pas de doute même si l’exactitude des faits doit s’effacer devant la relativité des récits. Il y a trop de lieux et d’évènements concordants avec les textes pour ne pas, au moins, accorder une attention sérieuse à ce que les évangélistes ont raconté.

Il a vu la verte Galilée, a entendu la clapotis du lac, n’a eu aucun mal à se retirer au désert sachant que celui-ci vient border les faubourgs de la Jérusalem actuelle.



Mais que disent les paysages, les pierres, les ruelles, les ruines, les sites archéologiques de la divinité de Jésus ? Rien. « La pierre à elle seule est muette » disait notre guide archéologue. A la limite, une telle familiarité avec la terre de Jésus peut laisser percer le doute : « Dieu a-t-il pu voir ce que je vois ? ».

Comme s’il y avait là trop grande impudeur, totale incongruité… .

A-t-Il vu et voit-Il ces pierres hérodiennes du mur occidental qui fait écho à tant de prières mais aussi à tant de rancœurs de rêves perdus ?

Entend-il vraiment l’appel assourdissant et impérieux à la prière des muezzins ; le joyeux tintamarre des cloches chrétiennes ?

Est-il sensible aux coups-je dis bien aux coups- d’encensoir d’un pope orthodoxe vers les icônes ainsi que les coups d’œil qu’il lance aux visiteurs trop bruyants ?

Voit-Il tout cela, y compris, cette balafre que le pèlerin ne peut éviter et qui s’appelle le mur de séparation des territoires palestiniens, dits autonomes. « En sa chair il a détruit le mur de la haine qui les divisait » (Ep 2,14) ?



Dieu ne s’est pas fait pierre, même si on lui a donné l’appellation de Roc, mais Il s’est fait chair. Alors il faut le chercher dans les « pierres vivantes ». Il y en a en Israël, comme ailleurs. Certes discrètes, mais parlantes à qui a des « oreilles pour entendre ».

Qui n’a pas reconnu le voix du prophète de Galilée dans le « sermon » inspiré que nous a fait la petite sœur des Clarisses de Nazareth où a séjourné Charles de Foucauld ? « Personne n’a parlé comme cet homme-là ! » Qui n’est pas bouleversé devant l’incroyable destin de la jeune Mariam, vénérée à Bethléem, première palestinienne béatifiée, qui vécut au Carmel de Pau, totalement investie de la présence de l’Autre à la mesure même de son propre « évidement » ? « Celui qui m’aime demeure en moi ». Et ce Père Raed, curé de l’ancienne Ephraïm, n’est-il pas témoin de ce que le sépulcre n’a pu retenir : la passion de Dieu pour les hommes ?

De la passion, il y en avait dans les propos, tout en retenue, de Louis l’autre guide palestinien qui se contentait de dire que sa vie « n’était pas facile » comme s’il se défendait d’ajouter de l’huile sur le feu qui couve en Terre Sainte. Ne donnait-il pas raison à ceux qui ne voient d’autre issue à ce pays que la prière qui transperce les peurs ?

Et notre « mécréant » de guide, ne cachait-il pas sous ce terme l’immense effort qui a été le sien pour connaître et surtout pour comprendre ces religions qui ont élevé plus de murailles qu’elles n’ont ouvert de table commune. N’est-il pas à compter parmi ceux et celles qui entendront un jour qu’il faut «adorer en Esprit et en Vérité » ?



Un pèlerinage en Terre sainte est une belle expérience mais non une obligation. Les chrétiens ne sont pas des adorateurs de lieux ou de reliques. Cette démarche n’a pour but que de faire de nous des Jérusalem, cités de paix ; des « Bethel », demeures de Dieu ; des Bethléem, maisons de bon pain. Sans oublier que la paix ne s’installe jamais définitivement. Elle reste comme un fil tendu qui résiste à toutes les pressions de la violence et qui s’appelle pardon. Sil vous arrivait de l’oublier, l’interminable attente des contrôles soupçonneux de l’aéroport lors de votre retour se chargerait de vous le rappeler…

16 avril 2011

La Vie après la vie.


A l’heure où j’écris ces lignes, un cataclysme s’abat sur le Japon ; la mémoire du déluge refait surface. Des réacteurs nucléaires répandent leur invisible terreur ; le cauchemar de l’Apocalypse hante les esprits. Déjà circulent sur internet des prédictions chiffrées ; Tremblement de terre + tsunami + nucléaire = explosion finale. Elle a, nous dit-on, commencé son compte à rebours : les derniers jours sont arrivés. « Convertissez-vous » proclament certains ; « trop tard » répondent les autres.

Comment ne pas être accablé par ces images dévastatrices, par cette accumulation de souffrances qui renvoient les nôtres au niveau des inconvénients mineurs. A ce malheur sans nom, s’ajoutent les combats fratricides en Côte d’Ivoire, les attaques contre des civils en Libye, les victimes des soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte et ces milliers de pauvres jetés sur les routes de l’exil.

Pour une fois Dieu semble avoir été épargné. On aurait pu lui attribuer les conséquences des catastrophes naturelles. « Que fait-il ton Dieu ? ». On préfère parler des risques encourus par une région dont on connaissait les dangers sismiques ou de despotismes trop longtemps tolérés parce qu’ils arrangeaient bien nos affaires.

Devant un tel désastre on reste sans voix. Face à ces soubresauts de l’histoire, on observe un silence plutôt gêné.

Par ailleurs, comment ne pas admirer la retenue des populations sinistrées, cette forme de pudeur qui s’exprime dans les attitudes et les mots, le sens du devoir de ceux qui exposent leurs vies pour préserver celles des autres ? Comment ne pas vibrer avec ces jeunes révoltés, saluer le courage de ceux qui, aujourd’hui encore, préfèrent la liberté à la vie ? Comment ne pas s’indigner de l’indécente fortune des pharaons modernes et trembler pour ceux qui affronteront d’autres dictatures ?

Mais pourquoi faut-il que chaque siècle connaisse des oppressions infâmes? Pourquoi l’expérience passée ne sert-elle jamais au présent ? Et si un jour la révolte à mains nues échouait sur le mur de la violence ? Et si les ruines et les maux nous enlevaient toute envie de redresser la tête ? Et si la terre n’avait plus d’autre perspective qu d’être un tombeau à ciel ouvert ?



La pensée de Teilhard de Chardin qui voyait l’avenir du monde comme une montée irrésistible vers une humanité spirituelle, la théorie de Marx qui préparait des lendemains qui chantent semblent s’être perdus dans les logiques financières déconnectées du simple bon sens. Le sommeil des idéologues n’est troublé que par des rêves de comptables. Alors faut-il désespérer ?

Depuis la nuit des temps les hommes scrutent le sens de la vie. Certains pensent même que cette recherche est vaine et qu’il n’y a aucun sens. La terre ? Un astre refroidi à la merci d’un soleil lui-même éphémère. L’être humain ? Dès sa naissance programmé pour mourir, un fétu de paille sur un océan de hasards. Alors à quoi bon chercher une lumière! Les événements confirment cette sombre hypothèse.

Et pourtant les hommes relèveront les ruines, défieront encore les tsunamis, chercheront à mieux maîtriser l’atome, résisteront aux oppressions de toutes sortes. Comme s’ils savaient par un instinct divin que la Vie passerait la vie, que la mort ne pouvait pas l’engloutir à jamais. Les Chrétiens croient, en effet, que la mort et le mal se sont, un certain Vendredi, épuisés sur la croix, ne pouvant faire pire que ce que les hommes ont, eux-mêmes, accompli ce jour là. Ils ont refusé la source même de la Vie, ils ont voulu définitivement éradiquer le Don de Dieu en scellant son tombeau. Mais le deuxième don, le pardon du Père, la pierre n’a pas pu le retenir. Le tombeau s’est ouvert et il est devenu berceau d’une naissance nouvelle. Le Christ est ressuscité !

Les cimetières peuvent recouvrir la terre ; ce sont désormais des cimetières de tombes ouvertes. C’est peut être la bonne nouvelle qu’échangent, tous les matins, deux petites hirondelles juchées sur leur fil. A leur façon, elles anticipent un joyeux ALLELUIA !

07 février 2011

Séculier, sécularisation, sécularisme
« En de nombreuses occasions, j'ai parlé des générations : la mienne, celle qui m'a précédé, les générations futures. C'est pour moi le nœud crucial de la situation actuelle. Certes, le passage d'une génération à l'autre a toujours posé des problèmes d'adaptation, mais ce que nous vivons aujourd'hui est tout à fait particulier.
Le thème de la sécularisation devrait nous aider, là aussi, à mieux comprendre. Elle a connu une accélération sans précédent au cours des années 60. Pour les hommes de ma génération et plus encore pour ceux qui m'ont précédé, souvent nés et élevés dans un milieu chrétien, elle a constitué une découverte essentielle, la grande aventure de leur vie. Ils en sont donc arrivés à interpréter "l’ouverture au monde" souhaitée par le concile Vatican II comme une conversion à la sécularisation.
C'est ainsi que nous avons vécu, ou même favorisé, une auto-sécularisation extrêmement puissante dans la plupart des églises occidentales. »
Ces propos sont extraits d’un discours de Mgr Bruguès, aux recteurs des séminaires pontificaux. Mgr Bruguès a 66 ans, dominicain, évêque d'Angers jusqu'en 2007, il est secrétaire de la congrégation pour l'éducation catholique, vice-président de l'œuvre pontificale des vocations sacerdotales et membre de la commission pour la formation des candidats au sacerdoce. Il fait par ailleurs partie de l'Académie pontificale Saint Thomas d'Aquin.
Sécularisation : ce terme revient sans cesse dans les documents ecclésiastiques. A son évocation, les conférenciers prennent une mine déconfite, lèvent les yeux au ciel, et soupirent profondément. Le mot désigne le nouveau péché originel de la fin du 20ème siècle et par conséquent l’explication facile de tous les maux. « Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».
De quoi parlons-nous ? Tout d’abord, lorsque l’on parle de « séculier » on désigne la spécificité de la mission du fidèle laïc qui vit et témoigne de sa Foi dans le siècle, dans la société de son temps.
Ensuite, on désigne le prêtre « séculier » par rapport à celui qui vit sous la règle, le « régulier ».
Quant à la sécularisation et au sécularisme, il faut demander à l’esprit subtil du pape Paul VI de nous éclairer sur la distinction à faire. Voici ce qu’il dit dans son encyclique Evangelii Nuntiandi : « D’une part, on est obligé de constater au cœur même de ce monde contemporain le phénomène qui devient presque sa marque la plus frappante : le sécularisme. Nous ne parlons pas de cette sécularisation qui est l’effort en lui-même juste et légitime, nullement incompatible avec la foi ou la religion, de déceler dans la création, en chaque chose ou en chaque événement de l’univers, les lois qui les régissent avec une certaine autonomie, dans la conviction intérieure que le Créateur y a posé ces lois. Le récent Concile a affirmé, en ce sens, l’autonomie légitime de la culture et particulièrement des sciences. Nous envisageons ici un véritable sécularisme : une conception du monde d’après laquelle ce dernier s’explique par lui-même sans qu’il soit besoin de recourir à Dieu ; Dieu devenu ainsi superflu et encombrant. Un tel sécularisme, pour reconnaître le pouvoir de l’homme, finit donc par se passer de Dieu et même par renier Dieu. » (55)


D’après Paul VI, la sécularisation n’est donc pas une maladie de la société. Elle est même nécessaire à son développement et à celui de l’homme comme Benoît XVI le reconnaît dans son encyclique « Caritas in Veritate », car répondant pleinement à sa vocation humaine.
Employer ce terme uniquement sous son aspect négatif qui convient au « sécularisme » en l’appliquant à l’Eglise, entretient le soupçon que tout effort d’insertion dans le siècle, toute reconnaissance de notre appartenance à notre temps est passible de trahison de la Foi. Ne pourrait-on pas reprendre simplement l’avertissement de Jésus : « Vous êtes dans ce monde, vous n’êtes pas du monde » ?
J’appartiens à cette génération qui, d’après le responsable romain, s’est « convertie à la sécularisation.» J’ai connu comme lui une Eglise de chrétienté dans laquelle le prêtre était l’homme du sacré.
Mais, déjà, de nombreux curés revenus de la guerre et de la captivité pratiquaient avec leurs paroissiens cette fraternelle proximité qu’ils avaient connue dans des conditions effroyables de promiscuité imposée. L’Action Catholique avait renforcé cette image du prêtre accompagnateur plus que pontife. Ma génération a mis ses pas dans ceux de ces pionniers. Nous ne nous sommes pas « convertis à la sécularisation », mais nous avons voulu simplement rendre le message évangélique désirable et abordable. Nous avons voulu donner au prêtre un visage chaleureux et un cœur miséricordieux.
Avons-nous passé sous silence les exigences de toute fidélité ? Avons-nous dépassé certaines limites ? Peut-être. Avons-nous émoussé le tranchant de la Parole en mettant en exergue un Jésus humain et ami des hommes et femmes de son temps ? Avons-nous pactisé avec le sécularisme de la société ? Je ne sais.
Je sais cependant que l’Eglise a bien profité de la sécularisation. Celle-ci a permis les grands voyages missionnaires, la fixation des textes dans l’écriture, la transmission du message chrétien à travers les langues et les schémas de pensée des diverses cultures, sans parler du foisonnement des rites, des musiques, des architectures que l’Eglise a charriés avec elle en traversant les siècles.
Va-t-on un jour reprocher au Pape Jean XXIII d’avoir laissé pousser une moustache bien séculière lorsqu’il était infirmier pendant la Première Guerre Mondiale ? Demandera-t-on des comptes à Jean Paul II parce qu’il a largement utilisé les couloirs aériens et les avions les plus performants ? Ne sera-t-il pas soupçonné un jour d’avoir succombé, entraîné par son siècle, au culte de la personnalité quand il rassemblait les foules ? Et les prêtres du XXI ème siècle qui lisent leur office sur leur ordinateur de poche pensent-ils qu’ils participent ainsi à une « conversion à la sécularisation » de leur prière ? Pour éviter l’intoxication, faut-il cesser de se nourrir ? Pour ne pas risquer le sécularisme, n’aurons-nous d’autres solutions que la fuite de ce siècle ou le combat contre la société?
Ce que je sais, enfin, c’est que le Christ lui-même, a remarqué que les foules qui le suivaient ne furent pas présentes lors du dernier rendez-vous sur la Croix ; que Saint Pierre et les disciples avec lui ont été lents à s’engager dans la montée vers le calvaire; qu’il y a donc toujours un temps où l’attirance, l’enthousiasme, la sympathie, l’empathie avec le siècle et le monde rencontrent la contradiction, le refus, le péché, la trahison, l’épine, les clous et la lance. Toute religion a ses suiveurs et ses martyrs, mais ces derniers se recrutent dans les premiers.
Sous prétexte de restaurer les figures d’un chrétien « attestataire » et celle d’un prêtre homme de contestation et même d’opposition, prenons garde de ne pas renvoyer tous ceux et celles qui ont cru à travers notre proximité que le message de Jésus était pour eux une Bonne Nouvelle, même s’ils n’ont bu la coupe que du bout des lèvres ? N’y aurait-il pas, de nouveau, tentation d’une religion des purs ? D’ailleurs qui peut dire, sauf Lui, avoir bu la coupe jusqu’à la lie ?
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.